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Mexique : Graves failles des enquêtes sur les homicides

La politisation de la justice et la militarisation de la sécurité n’ont pas permis d’endiguer la violence criminelle

Des employés d’un département municipal médico-légal plaçaient un cercueil improvisé contenant le corps d’une victime de homicide non identifiée dans une fosse commune près de Ciudad Juárez, dans l’État de Chihuahua au Mexique, le 15 mars 2024.
Des employés d’un département municipal médico-légal plaçaient un cercueil improvisé contenant le corps d’une victime de homicide non identifiée dans une fosse commune près de Ciudad Juárez, dans l’État de Chihuahua au Mexique, le 15 mars 2024. © 2024 Luis Torres/EPA-EFE/Shutterstock
  • Les autorités mexicaines n’enquêtent pas de manière adéquate sur de très nombreux homicides, la plupart étant commis par des groupes criminels organisés.
  • La militarisation des forces de l’ordre, le non-respect du droit des suspects à une procédure régulière et la politisation des décisions des juges n’ont ni renforcé la sécurité des Mexicains, ni amélioré le piètre bilan du système judiciaire.
  • La présidente Claudia Sheinbaum devrait s’attaquer au problème central du système de justice pénale mexicain : les méthodes d’enquête inefficaces et abusives employées par de nombreux bureaux de procureurs.

(Mexico, le 19 février 2024) – Les autorités mexicaines n’enquêtent pas de manière adéquate sur de très nombreux homicides, la plupart étant commis par des groupes criminels organisés, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 178 pages, intitulé « Double Injustice: How Mexico’s Criminal Justice System Fails Victims and the Accused in Homicide Investigations » (« Double injustice : Comment le système de justice pénale du Mexique trahit des victimes et des accusés lors d’enquêtes sur des homicides »), examine en détail les raisons des mauvais résultats du système de justice pénale mexicain dans les enquêtes sur les homicides et identifie des moyens d’améliorer l’accès à la justice pour les proches des victimes.

« La militarisation des forces de l’ordre, le non-respect du droit des suspects à une procédure régulière et la politisation des décisions des juges n’ont ni renforcé la sécurité des Mexicains, ni amélioré le piètre bilan du système de justice pénale », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Au lieu de poursuivre des politiques caractérisées par des échecs, la présidente Claudia Sheinbaum devrait plutôt s’attaquer au problème central du système de justice pénale mexicain : les méthodes d’enquête inefficaces et abusives employées par les bureaux des procureurs des États de ce pays. »

Principalement entre janvier 2023 et février 2024, Human Rights Watch a mené dans 11 États mexicains des entretiens avec près de 150 personnes : des procureurs chargés d’affaires d’homicides et des officiers de police judiciaire au sein des bureaux de procureurs de ces États, des conseillers juridiques auprès des commissions d’aide aux proches des victimes, ainsi que d’autres acteurs de la justice et experts du système de justice pénale mexicain. Human Rights Watch a également examiné les données accessibles au public sur le système judiciaire, et a déposé plus de 300 demandes d’informations auprès des autorités des États et fédérales.

Le Mexique subit des taux d’homicides extrêmement élevés depuis près de deux décennies. En 2023, ce taux avoisinait 25 homicides par groupe de 100 000 personnes, soit l’un des taux les plus élevés dans le monde. Des procureurs et des analystes indépendants ont constaté que la plupart des crimes sont commis par des groupes criminels organisés qui luttent pour le contrôle du trafic de drogue, et mènent d’autres activités illicites. La grande majorité des crimes sont commis avec des armes à feu, qui dans la plupart des cas proviendraient des États-Unis.

Human Rights Watch a constaté que la plupart des enquêtes pour homicide volontaire ouvertes par les bureaux des procureurs des États au Mexique ne dépassent jamais les étapes initiales, et sont souvent clôturées sans suite judiciaire. Entre 2010 et 2022, les bureaux des procureurs des États ont ouvert environ 300 000 enquêtes, mais n’ont formellement identifié un suspect et engagé des poursuites pénales que dans environ 51 000 affaires, soit 17 % des cas.

Graphique : Peu d'enquêtes aboutissent à des poursuites
Graphique montrant le pourcentage d'enquêtes sur des homicides volontaires ayant abouti à l’engagement de poursuites judiciaires au Mexique, entre 2010 (18 %) et 2022 (également 18 %, après une hausse en 2013 qui fut suivie d’une baisse). 
Graphique montrant le pourcentage d'enquêtes sur des homicides volontaires ayant abouti à l’engagement de poursuites judiciaires au Mexique, entre 2010 (18 %) et 2022 (également 18 %, après une hausse en 2013 qui fut suivie d’une baisse). Source : Institut national des statistiques et de la géographie (INEGI). © 2025 Human Rights Watch

« Les gens me disent : “Laisse tomber, tu es menacée. Dieu rendra justice” », a déclaré à Human Rights Watch une femme qui a évoqué les menaces de mort proférées à son encontre par les individus qui ont tué son fils, et l’indifférence des autorités de son État. « Je leur réponds : “Il y a un Dieu, oui. Mais il y a aussi des autorités ici sur Terre. Pourquoi ne font-elles rien ?” »

Divers problèmes systémiques entravent les enquêtes sur les homicides et ont un impact négatif sur les droits des victimes et des accusés. Il s’agit notamment d’une charge de travail élevée dans les bureaux des procureurs, l’insuffisance de la formation et des ressources, une mauvaise coordination entre diverses autorités et un manque de directives claires sur la manière de prioriser les affaires. Plusieurs personnes ont déclaré à Human Rights Watch que les autorités attendaient parfois des mois, voire des années avant de mener les étapes d’enquête de base, et ne le faisaient qu’en réponse à l’attention négative des médias ou à la pression des familles des victimes.

Lorsque les proches de victimes tentent de coopérer avec les autorités, ils sont souvent confrontés à la stigmatisation, à la corruption et à la négligence. Les autorités supposent dans plusieurs cas que les victimes d’homicide étaient elles-mêmes impliquées dans des activités criminelles ou d’autres activités à haut risque. De nombreux proches de victimes et leurs conseillers juridiques ont affirmé que les autorités rejetaient souvent la faute sur les victimes, ou exigeaient des pots-de-vin avant de procéder à une enquête.

De nombreuses personnes sont terrifiées à l’idée de coopérer aux enquêtes, par crainte de représailles de la part des meurtriers. Mais les autorités ne leur offrent que rarement une protection efficace.

Les rares enquêtes sur les homicides intentionnels qui parviennent jusqu’à un juge sont souvent entachées de preuves fragiles, ou de déclarations modifiées, fabriquées ou obtenues par le biais de menaces ou de torture.

Une importante enquête gouvernementale a révélé qu’environ 40 % des personnes incarcérées pour homicide depuis 2016 ont déclaré que les autorités les avaient battues ou torturées pour tenter de les contraindre à plaider coupable ou à apporter de faux témoignages. Le manque d’indépendance judiciaire dans les systèmes judiciaires de plusieurs États du Mexique aggrave ce problème, car de nombreux juges subissent des pressions politiques pour rendre des décisions favorables aux procureurs et au gouvernement.

Les efforts du gouvernement mexicain pour réduire la violence criminelle en militarisant l’application de la loi, en sapant les garanties d’une procédure régulière et en politisant la manière dont les juges sont nommés n’ont pas été efficaces, et ont conduit à de graves violations des droits humains.

En septembre 2024, le Congrès mexicain a approuvé des amendements constitutionnels exigeant que tous les juges d’État et fédéraux soient démis de leurs fonctions avant la tenue d’élections populaires basées sur une de liste de candidats choisis par le Congrès, le président et la Cour suprême.

« Si les autorités mexicaines espèrent améliorer le bilan du système judiciaire, elles devraient prendre des mesures pour garantir que les juges sont protégés de toute influence politique, plutôt que de politiser davantage encore le système judiciaire », a commenté Juanita Goebertus.

Les autorités mexicaines devraient prendre des mesures urgentes pour garantir que les parquets travaillant sur des affaires d’homicide mènent des enquêtes approfondies, impartiales et respectueuses des droits,a déclaré Human Rights Watch. Les parquets des États devraient être tenus d’élaborer des plans stratégiques concernant les poursuites judiciaires, afin de mieux permettre aux procureurs de hiérarchiser les affaires en mettant l’accent sur le démantèlement des groupes criminels responsables d’homicides. Les parquets devraient également veiller à ce qu’il existe des règles claires et objectives pour l’embauche, la promotion et le licenciement du personnel.

Les autorités fédérales et étatiques devraient aussi veiller à ce que les commissions chargées de relations avec les proches des victimes disposent du personnel et des ressources nécessaires pour représenter efficacement ces familles. Les autorités devraient créer d’urgence des mécanismes de protection efficaces pour les proches des victimes et les témoins. Elles devraient aussi améliorer la surveillance des parquets en créant des mécanismes de contrôle externe, afin de permettre aux citoyens et aux groupes de la société civile d’examiner les allégations d’actes répréhensibles et de recommander des changements.

Les États-Unis devraient accorder la priorité au financement des programmes de coopération internationale visant à soutenir la professionnalisation des forces de l’ordre et des agences de justice pénale mexicaines. L’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) soutenait jusqu’à présent des programmes offrant une formation aux procureurs mexicains, aux conseillers juridiques des commissions des victimes des États et aux défenseurs publics et aidant les procureurs des États à élaborer des plans stratégiques relatifs aux poursuites judiciaires. Toutefois, une grande partie de ce financement est actuellement suspendue en raison du décret du président américain Donald Trump du 20 janvier 2025 suspendant l’aide apportée par les États-Unis à divers programmes dans le monde, d’un montant total de 44 milliards de dollars. Les États-Unis devraient également prendre des mesures urgentes, en coopération avec le gouvernement mexicain, pour endiguer le flux illégal d’armes à feu des États-Unis vers le Mexique.

« Si l’administration Trump souhaite réellement prendre des mesures contribuant au démantèlement des organisations criminelles au Mexique, suspendre le financement des programmes visant à professionnaliser les forces de l’ordre et les agences de justice pénale du Mexique est une mauvaise approche », a affirmé Juanita Goebertus.

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