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Guatemala : Réponse inadéquate aux violences sexuelles subies par des filles

Les jeunes survivantes manquent d’accès aux soins de santé, à l’éducation, à la sécurité sociale et à la justice

© 2025 Doris Miranda pour Human Rights Watch
  • Le Guatemala n’agit pas suffisamment pour empêcher la violence sexuelle systémique et pour lutter contre ces abus, ce qui signifie que de nombreuses filles âgées de moins de 14 ans subissent des grossesses forcées.
  • Les filles ayant subi des violences sexuelles sont souvent exclues du système d’éducation, ont du mal à accéder à des soins de santé et aux prestations de sécurité sociale, et sont confrontées à d’énormes obstacles pour obtenir justice.
  • Des réformes de grande ampleur sont requises d’urgence afin de mieux prévenir la violence sexuelle, notamment contre les filles, et de leur garantir un accès complet aux soins de santé, à l’éducation, à la sécurité sociale et à la justice, y compris par le biais de réparations adéquates.

(Ciudad de Guatemala, 18 février 2025) – Les gouvernements successifs du Guatemala n’ont pas respecté leurs obligations envers les filles subissant des grossesses précoces et forcées à la suite de violences sexuelles, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Les autorités devraient fournir aux survivantes de violences sexuelles des soins de santé complets, l’accès à l’éducation, des prestations de sécurité sociale, ainsi que des protections juridiques, l’accès à la justice et des réparations.

Le rapport de 85 pages, intitulé « “Forced to Give Up on Their Dreams”: Sexual Violence against Girls in Guatemala » (« “Forcées d’abandonner leurs rêves” : Violences sexuelles contre des filles au Guatemala »), documente les nombreux obstacles auxquels les filles ayant subi des violences sexuelles sont confrontées pour accéder aux soins de santé essentiels, à l’éducation, à la sécurité sociale et à la justice. La loi guatémaltèque qualifie de violence sexuelle toute activité sexuelle impliquant un-e enfant de moins de 14 ans. Selon le Registre national des personnes du Guatemala (Registro Nacional de las Personas, RENAP), 14 696 filles âgées de moins de 14 ans sont devenues mères entre 2018 et 2024, dans la plupart des cas contre leur gré.

« La violence sexuelle au Guatemala demeure un problème généralisé et systémique, qui touche de manière disproportionnée les filles âgées de moins de 14 ans », a déclaré Cristina Quijano Carrasco, chercheuse auprès de la division Droits des femmes à Human Rights Watch. « L’incapacité du Guatemala à prendre des mesures adéquates pour empêcher les violences sexuelles et les grossesses forcées subies par des filles, et pour y mettre fin, peut engendrer des conséquences potentiellement mortelles, notamment des risques pour leur santé physique et mentale ; cela affecte aussi profondément le respect de leurs droits économiques, sociaux et culturels. »

En 2023 et 2024, Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 72 personnes – des représentant-e-s d’organisations de la société civile, des responsables gouvernementaux, des membres du personnels de santé et d’autres expert-e-s – dans le cadre des recherches effectuées pour ce rapport, et a analysé diverses données gouvernementales.

Dans un cas, une fille âgée de 11 ans vivant dans une zone rurale a été violée par son père, et a cherché à se faire soigner après avoir découvert qu’elle était enceinte de cinq mois. Bien qu’elle ait signalé ce cas, les autorités l’ont renvoyée chez son père et elle a été forcée d’accoucher à domicile dans des conditions dangereuses et sans assistance. Les autorités n’ont jamais arrêté le père et comme l’affaire n’a jamais fait l’objet d’une décision judiciaire, cette fille n’a reçu aucune réparation pour le préjudice qu’elle a subi.

L’accès à des services de santé complets pour les filles au Guatemala est très limité. Les longues distances à parcourir, le manque chronique de personnel qualifié et les ressources inadéquates dans les centres de santé entravent l’accès rapide aux services et fournitures de santé essentiels, tels que la contraception d’urgence et les soins prénatals, obstétricaux et postnatals.

Ces obstacles ont un impact disproportionné sur les filles des communautés rurales et autochtones, qui doivent souvent voyager pendant des heures, voire des jours, pour atteindre les établissements de santé situés dans des capitales départementales. La loi guatémaltèque autorise l’avortement thérapeutique lorsque la vie de la personne enceinte est en danger, mais la stigmatisation et le manque de connaissance de la loi parmi les prestataires de soins de santé entravent l’accès à ce service de santé essentiel.

Le système éducatif guatémaltèque n’est pas conçu non plus pour soutenir les filles enceintes et les jeunes mères. En novembre 2024, seules 213 élèves enceintes étaient inscrites dans le système éducatif national pour la période de janvier à juin. Le manque de soutien de la part des écoles et du gouvernement, la stigmatisation, la pression familiale et la violence contribuent aux taux élevés d’abandon scolaire chez les filles enceintes, en particulier dans les communautés rurales. Nombre d’entre elles sont contraintes d’abandonner définitivement l’école et doivent souvent vivre avec leurs agresseurs, ou réduites à effectuer des tâches ménagères.

Selon des préjugés sociaux, des filles devenues mères sont perçues comme « impures » ou « sales », ce qui les stigmatise encore davantage et fait porter la responsabilité aux survivantes de violences sexuelles, plutôt qu’à leurs agresseurs. L’absence de politiques publiques conçues pour permettre aux élèves enceintes ou devenues mères de poursuivre leurs études les prive du soutien scolaire, social et émotionnel dont elles ont besoin.

Les programmes de protection sociale pour les filles enceintes et les jeunes mères ne sont pas non plus suffisants pour garantir leur droit à la sécurité sociale. Le programme gouvernemental Vida, qui vise à fournir une aide financière aux filles enceintes et aux jeunes mères âgées de moins de 14 ans, ne couvre qu’un nombre restreint de filles, en raison de ses conditions d’éligibilité restrictives et de lourdes barrières bureaucratiques. En 2024, seules 129 filles étaient inscrites au programme Vida, bien que 1 953 filles âgées de moins de 14 ans aient accouché cette année-là au Guatemala.

Graphique : Filles devenues mères inscrites au programme Vida au Guatemala

Comparaison entre le nombre de naissances enregistrées au Guatemala dans le cas de jeunes filles (10-14 ans) devenues mères, et le nombre nettement inférieur de filles enregistrées en tant que bénéficiaires du programme Vida qui vise à fournir une aide financière aux filles enceintes et aux mères âgées de moins de 14 ans (2018-2014). © 2025 Données MIDES (Guatemala), graphique HRW.

La voie vers la justice pour les filles qui ont survécu à des violences sexuelles est semée d’obstacles systémiques. De janvier 2018 à octobre 2023, des procureurs et des juges au Guatemala ont classé sans suite 6 697 affaires de violences sexuelles contre des filles de moins de 14 ans, dont 2 271 affaires durant la période de janvier 2023 à octobre 2023 (soit une forte hausse par rapport aux années précédentes). Même lorsque des affaires sont jugées, l’obligation de rendre des comptes pour les abus demeure rare : entre janvier 2018 et septembre 2023, les juges n’ont pris en compte que 136 actes d’accusation, aboutissant à 102 condamnations pour viol, dans des affaires concernant des filles enceintes de moins de 14 ans.

Ces défaillances du système judiciaire guatémaltèque reflètent un manque d’approche sensible au genre et centrée sur l’enfant, dans les processus juridiques. Les survivantes de violences sexuelles se heurtent à de nombreux obstacles, notamment des stéréotypes sexistes, des mauvais traitements et un accès limité aux bureaux gouvernementaux. Les filles autochtones et les filles sourdes sont confrontées à des difficultés supplémentaires en raison des barrières linguistiques et du manque d’interprètes formé-e-s et sensibles à la culture pour les langues autochtones et la langue des signes. Lorsque des réparations sont accordées, elles ne répondent que rarement aux véritables besoins, ce qui reflète un manque général de compréhension de la situation et des besoins spécifiques des filles. Les lacunes en matière de justice sont en outre aggravées par le fait que le système judiciaire est surchargé, ce qui entraîne de longs retards.

Graphique : Faible nombre des mises en examen et condamnations pour les violences sexuelles

Comparaison de trois données au Guatemala, durant la période 2018-2023 : (1) Courbe bleu foncé en dents de scie, vers le haut : nombre de naissances dans le cas de filles âgées de moins de 14 ans et devenues mères. (2) Courbe bleu clair, vers le bas : nombre de mises en examen des auteurs des violences sexuelles (chiffres beaucoup plus bas). (3) Courbe noir : nombre de condamnations, des chiffres qui sont aussi extrêmement bas. © 2025 Données MP, RENAP, OSAR (Guatemala), graphique HRW.

La sous-déclaration des cas de violences sexuelles, la mauvaise gestion des données et le manque de coordination entre les institutions gouvernementales entravent encore davantage la capacité du gouvernement à établir des données exactes sur les violences sexuelles, à empêcher ces abus, et à mettre en place des mesures efficaces en réponse à ce problème.

« En l’absence de réformes significatives comme le renforcement des mesures préventives ainsi qu’un meilleur accès aux services et à la justice, les filles au Guatemala continueront d’être confrontées à des niveaux choquants de violence sexuelle et à des obstacles insurmontables pour faire valoir leurs droits », a conclu Cristina Quijano Carrasco. « Le gouvernement devrait prendre des mesures urgentes pour garantir que les filles qui ont survécu à des violences sexuelles aient accès aux soins de santé, à l’éducation, à la sécurité sociale et aux protections juridiques auxquelles elles ont droit, afin de pouvoir se rétablir, et de reconstruire leur vie. »

Chiffres clés sur la violence sexuelle et la maternité forcée au Guatemala
  • Prévalence des violences sexuelles : Plus d'un tiers des femmes au Guatemala (34,5 %) subissent des violences sexuelles au cours de leur vie.
  • Violences sexuelles contre les filles : Les filles sont beaucoup plus susceptibles de subir des violences sexuelles que les garçons au Guatemala. Elles représentent 88 % des cas de violences sexuelles enregistrés pour des enfants âgés de 14 ans ou moins par l'Institut national des sciences médico-légales (Instituto Nacional de Ciencias Forenses, INACIF). entre janvier 2018 et juin 2024.
  • Grossesses chez les filles :  Entre 2018 et 2024, 14 696 naissances ont été enregistrées chez des filles âgées de 10 à 14 ans, dont 1 953 naissances en 2024. Au cours de la même période, 479 612 filles et adolescentes âgées de 10 à 19 ans ont accouché, dont 56 568 en 2024. Source: Registre national des personnes du Guatemala (Registro Nacional de las Personas, RENAP).
  • Maternité précoce chez les filles : En novembre 2024, seulement 213 filles âgées de moins de 14 ans et enceintes étaient encore inscrites dans une école au Guatemala. Source : Ministère de l’Éducation).
  • Justice : Parmi celles qui dénoncent des violences sexuelles, rares sont celles qui obtiennent justice.
    • Entre janvier 2018 et octobre 2023, 6 697 affaires de violences sexuelles contre des filles de moins de 14 ans ont été classées sans suite.
    • Entre janvier 2018 et septembre 2023, les juges n'ont validé que 136 actes d'accusation préliminaires.
    • Entre janvier 2018 et octobre 2023, seules 102 personnes ont été condamnées pour des violences sexuelles infligées à des filles âgées de moins de 14 ans, et devenues enceintes.

      Source : Bureau du Procureur général

  • Sécurité sociale et soutien économique : De janvier à juin 2024, seulement 129 filles ont été inscrites au programme Vida, soit nettement moins que les 1 953 mères biologiques âgées de 10 à 14 ans déclarées cette année-là. Source : Ministère du Développement social (Ministerio de Desarrollo Social, MIDES).

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