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États-Unis : Trump autorise des sanctions contre la Cour pénale internationale

Les pays membres de la Cour devraient la soutenir pour défendre la justice

Le siège de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, aux Pays-Bas, photographié en novembre 2019. © 2019 AP Photo/Peter Dejong, File

(Washington) – Les sanctions du gouvernement américain qui ciblent la Cour pénale internationale (CPI) risquent de porter atteinte à la lutte contre l’impunité à l'egard à l'égard des crimes les plus graves à l’échelle internationale et priver de justice des victimes du monde entier, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 6 février, le président des États-Unis, Donald Trump, a émis un décret exécutif qui autorise à geler les avoirs et à interdire l’entrée sur le territoire des représentants de la CPI et d’autres personnes soutenant son travail. 

« Le décret du président Trump sur la Cour pénale internationale place de fait les États-Unis dans le camp des criminels de guerre, aux dépens des victimes de crimes graves qui cherchent à obtenir justice », a déclaré Liz Evenson, directrice du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Les pays membres de la CPI devraient soutenir publiquement et vigoureusement la Cour, qui accomplit le travail pour lequel elle a été mise en place : veiller à ce que personne ne soit au-dessus des lois. » 

Le décret présidentiel de Donald Trump, émis durant la semaine où le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou était en visite à Washington, montre clairement que son administration cherche à protéger les représentants des États-Unis et d’Israël qui pourraient être poursuivis pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité devant la CPI. Des juges de la Cour ont émis en novembre 2024 des mandats d’arrêt à l’encontre de Benyamin Netanyahou et de l’ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant.

Ces juges de la CPI ont trouvé des motifs raisonnables de croire que Netanyahou et Gallant étaient responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité dans la bande de Gaza, depuis au moins le 8 octobre 2023, notamment d’avoir provoqué la famine de civils, sciemment dirigé des attaques vers la population civile, ainsi que de meurtres et de persécutions. 

Les juges ont également émis un mandat d’arrêt contre Mohammed Diab Ibrahim al-Masri (alias Mohammed Deif), commandant en chef des Brigades Qassam, la branche militaire du Hamas. Les Brigades Qassam ont annoncé le 30 janvier que Deif avait été tué au cours des hostilités.

La CPI est le tribunal international permanent qui fut créé pour juger les individus, y compris des hauts responsables, accusés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de génocide et du crime d’agression. Actuellement, 125 pays, soit près des deux tiers des membres des Nations Unies, sont des États parties au Statut de Rome de la Cour.

La CPI est un tribunal de dernière instance qui intervient lorsque les autorités nationales n’ont pas la capacité ou volonté de mener de véritables procédures judiciaires. Outre son enquête sur la Palestine, la Cour a ouvert des investigations sur des atrocités présumées commises dans seize situations, entre autres au Darfour (Soudan), au Bangladesh/Myanmar, en Ukraine et au Venezuela.

Le décret présidentiel du 6 février permet de sanctionner les personnes non citoyennes des États-Unis qui apportent leur assistance aux enquêtes judiciaires que l’administration américaine conteste (le terme « personne » étant défini comme « un individu ou une entité »). Le texte prévoit le gel des avoirs et l’interdiction d’entrée sur le territoire pour « la personne nommée en annexe de ce décret ». Cette annexe n’a toutefois pas encore été publiée. Le décret prévoit également un gel des avoirs et une interdiction d’entrée sur le territoire pour « toute personne étrangère [...] qui se livre directement, ou qui apporte son soutien, à toute démarche auprès de la Cour pénale internationale afin d’enquêter sur, arrêter, placer en détention ou poursuivre devant la justice » une « personne protégée ». Une « personne protégée » est définie comme toute personne citoyenne des États-Unis, ou « toute personne étrangère qui est citoyenne ou résidente légale d’un pays allié des États-Unis qui n’a pas consenti à la compétence de la CPI […] ou qui n’est pas un État partie au Statut de Rome ».

Des sanctions peuvent également être infligées à d’autres personnes contribuant aux enquêtes de la CPI, tandis que les interdictions d’entrer aux États-Unis peuvent être appliquées aux proches des personnes sanctionnées et à d’autres membres du personnel de la Cour. Le décret présidentiel exige que le secrétaire au Trésor des États-Unis, après consultation du secrétaire d’État, présente au président américain, dans les 60 jours, un rapport sur d’autres personnes  à sanctionner.

Le 9 janvier, le Chambre des représentants des États-Unis a approuvé une législation, visant à autoriser l’imposition de sanctions ciblant la CPI, mais le 28 janvier, le Sénat a voté contre l’adoption de ce projet de loi.

En 2020, lors de son premier mandat, le président Trump avait infligé des sanctions à Fatou Bensouda, qui était alors Procureure de la CPI , ainsi qu’à un autre haut responsable de la Cour ; cette décision avait été prise suite à la la décision de la Procureure de requérir l’autorisation d’ouvrir une enquête sur la situation en Afghanistan, ce qui pouvait éventuellement conduire à poursuivre des ressortissants américains. De nombreux États avaient alors critiqué les sanctions, qui  ont par la suite été remises en question au cours de deux procès devant des tribunaux fédéraux aux États-Unis. L’administration Biden a finalement annulé ces sanctions. Aucun ressortissant américain n’est actuellement poursuivi devant la CPI. 

Les sanctions produisent d’importantes répercussions sur ceux qui sont visés, qui perdent l’accès à leurs avoirs aux États-Unis et sont interdits de tout lien commercial et financier avec des « US persons », y compris les banques et les autres entreprises. De plus, les sanctions des États-Unis ont un effet dissuasif sur les banques non américaines et les autres entreprises situées hors de la juridiction des États-Unis, qui pourraient perdre elles-mêmes l’accès au système bancaire américain si elles n’apportaient pas leur soutien aux sanctions. Quant aux « US persons », elles risquent des sanctions pénales – amendes et peines de prison – en cas de non-respect de ces sanctions. 

Le décret présidentiel semble conçu non seulement pour intimider les responsables et les employés impliqués dans des enquêtes judiciaires cruciales de la Cour, a déclaré Human Rights Watch, mais aussi de façon plus générale pour dissuader toute coopération avec la CPI, ce qui affecte les droits des victimes dans le monde entier. 

Les sanctions américaines viennent s’ajouter à d’autres efforts portant atteinte à la justice internationale, a déclaré Human Rights Watch. Le 1er mai, Netanyahou a appelé les gouvernements à empêcher la Cour d’émettre des mandats. Le Parlement d’Israël examine actuellement un projet de loi qui vise à protéger les responsables israéliens des enquêtes de la CPI en « interdisant toute coopération formelle » entre les autorités du pays et la CPI et en punissant les individus qui assistent la Cour.

Après les menaces de sanctions de sénateurs américains envers le Procureur de la CPI en avril 2024, le bureau du Procureur a appelé à faire cesser immédiatement toute tentative de « le gêner, l’intimider ou l’influencer de façon indue ». De leur côté, les autorités russes ont pénalisé la coopération avec la CPI et émis des mandats d’arrêt contre les juges et le Procureur de la Cour, en représailles du mandat d’arrêt de la Cour à l’encontre du président russe Vladimir Poutine pour le transfert illégal et la déportation d’enfants présumés depuis des zones occupées de l’Ukraine vers la Russie.

Même si les États-Unis ne sont pas un pays membre de la CPI, ces sanctions contredisent le soutien croissant exprimé par plusieurs hauts américains envers la Cour, au cours des dernières années. Après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en 2022, des représentants élus issus des deux partis –républicain et démocrate – avaient loué les efforts de la Cour visant à se pencher sur les crimes de guerre présumés des forces russes en Ukraine, et le Congrès américain avait pris des mesures pour autoriser la contribution des États-Unis à l’enquête de la Cour en Ukraine.

Alors que la menace des sanctions américaines se profilait, des pays membres de la CPI, l’Assemblée des États parties, qui est l’organe directeur de la Cour, l’Union européenne, des experts de l’ONU ainsi que des organisations de la société civile se sont exprimés contre toute entreprise d’obstruction du travail de la Cour.

Les pays membres de la CPI devraient réaffirmer leur engagement à défendre la Cour, ses responsables et les personnes qui coopèrent avec elle contre toute interférence et pression politique, a déclaré Human Rights Watch. Ils devraient par ailleurs mettre en place des mesures de protection du travail indispensable de la Cour, notamment en adoptant des législations de blocage et des mesures similaires. L’Union européenne devrait rapidement avoir recours à sa Loi de blocage pour atténuer les effets des sanctions américaines. 

« Les sanctions des États-Unis pourraient avoir un impact important sur le travail de la Cour pénale internationale en portant atteinte aux enquêtes qu’elle est en train de mener », a conclu Liz Evenson. « Les pays membres de la CPI devront démontrer qu’ils feront le nécessaire pour qu’elle continue à rendre la justice face aux pires crimes, quels qu’en soient les auteurs. »

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Citation : https://x.com/hrw_fr/status/1887908117217775867

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