(Washington, 26 février 2025) – La décision du président argentin Javier Milei de pourvoir deux postes vacants à la Cour suprême par décret présidentiel porte atteinte à l’indépendance de la justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le 26 février, le président Milei a signé un décret présidentiel nommant un juge fédéral, Ariel Lijo, et un juriste, Manuel García-Mansilla, aux postes de juges de la Cour suprême. Javier Milei a pris cette décision après avoir échoué, pendant des mois, à réunir la majorité des deux tiers du Sénat argentin qui aurait été requise pour pourvoir ces deux postes vacants, selon les procédures régulières. La théorie selon laquelle le président Milei peut simplement contourner le Sénat et procéder à ces nominations par décret repose toutefois sur une interprétation douteuse de la Constitution argentine.
« La nomination d’Ariel Lijo et de Manuel García-Mansilla par décret est l’une des attaques les plus graves contre l’indépendance de la Cour suprême en Argentine depuis le retour du pays à la démocratie », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Le Sénat devrait réagir de manière appropriée, et veiller à ce qu’aucune nomination aux postes de juges de la Cour suprême ne soit concrétisée son consentement. »
Le 25 février, l’administration Milei a publié un communiqué annonçant sa décision de procéder à cette double nominations par décret, et affirmant que le Congrès avait « évité de respecter la décision de ce gouvernement » au sujet de ces deux candidats, dont « l’aptitude à occuper ces postes avait été démontrée ».
Le président Milei a initialement annoncé sa nomination d’Ariel Lijo et de Manuel García-Mansilla aux postes de juges à la Cour suprême en avril 2024 ; par la suite, plusieurs organisations de défense des droits humains, fédérations d’entreprises, universitaires et simples citoyens ont officiellement exprimé leur inquiétude quant au bilan de Lijo en tant que juge fédéral, et aux opinions de García-Mansilla sur les droits à la santé sexuelle et reproductive. Lijo fait l’objet de cinq enquêtes disciplinaires en cours devant le Conseil de la magistrature, l’organisme chargé d’enquêter sur les juges fédéraux et éventuellement de les révoquer. Selon un rapport, il a été visé par 29 autres procédures disciplinaires qui ont finalement été closes. Certaines procédures étaient fondées sur des allégations selon lesquelles Lijo aurait retardé et manipulé des enquêtes sur la corruption.
Une disposition de la Constitution argentine (art. 99-19) autorise le président à « pourvoir des postes vacants qui nécessitent l’approbation du Sénat, durant les périodes en dehors des sessions du Congrès ». Toutefois, les tribunaux n’ont pas statué afin de confirmer que le terme « postes vacants » de cette disposition s’applique aussi au poste de juge de la Cour suprême, et de nombreux universitaires ont exprimé leurs doutes à ce sujet. Beaucoup d’entre eux soutiennent que la disposition ne concerne que les ambassadeurs, les membres de l’armée et d’autres fonctionnaires du pouvoir exécutif. Les experts ont aussi exprimé des doutes quant à la légalité d’une nomination par décret présidentiel effectuée avant le début d’une période de non-session du Congrès.
L’Argentine est un État partie à plusieurs traités internationaux relatifs aux droits humains, notamment au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention américaine relative aux droits humains (« Pacte de San Jose du Costa Rica »), qui l’obligent à garantir l’indépendance et l’impartialité de son système judiciaire. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a déclaré à plusieurs reprises que les juges doivent être nommés selon un « processus adéquat » qui protège leur indépendance, notamment vis-à-vis des pouvoirs exécutif et législatif.
En vertu de la Constitution argentine, une nomination par décret présidentiel effectuée pendant une période de non-session du Parlement demeure en vigueur jusqu’à « la fin de la législature suivante », c’est-à-dire dans ce cas-ci le 30 novembre 2025. Toutefois, le Sénat est habilité à révoquer les fonctionnaires nommés de cette manière, pour n’importe quelle raison jugée valable. Des juges nommés de cette manière ne disposent pas de sécurité quant à la durée de leur mandat, ce qui risque de porter atteinte à leur indépendance réelle ou perçue.
Le Sénat argentin joue un rôle crucial en veillant à ce que toute nomination des juges de la Cour suprême respecte les procédures constitutionnelles, et en examinant soigneusement leurs qualifications, leur expérience et leur intégrité, a observé Human Rights Watch. Lors de sa prochaine session, le Sénat devrait immédiatement procéder à un vote au sujet des deux nominations du décret présidentiel.
En décembre 2015, l’ancien président argentin Mauricio Macri, avait aussi invoqué le même article de la Constitution pour pourvoir deux sièges vacants à la Cour suprême, par décret présidentiel. Human Rights Watch, d’autres organisations non gouvernementales et des juristes avaient alors aussi critiqué cette décision. Le Sénat n’avait alors pas pu examiner les nominations au moment de la publication du décret présidentiel, et ce n’est que six mois plus tard que les deux juges nommés par Macri ont pris leurs fonctions, après avoir obtenu les deux tiers des voix requises au Sénat.
« En contournant le processus régulier d’approbation par le Sénat et en nommant un candidat au dossier disciplinaire préoccupant, le gouvernement argentin sape les fondements mêmes de l’indépendance judiciaire », a conclu Juanita Goebertus. « Les institutions démocratiques argentines devraient montrer leur force, et défendre l’État de droit. »
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